« La surveillance s’opère en tout lieu » : balade bordelaise avec Elia Verdon

En trois décennies, la surveillance s’est immiscée dans tous les aspects de notre quotidien. Depuis l’installation des caméras dans les rues, à la récolte de données par les GAFAM, Elia Verdon explique que la majorité de la population n’a pourtant pas encore les clés en main pour comprendre ce phénomène et protéger ses libertés.

Un banal vendredi, à onze heures, sur la place Pey-Berland à Bordeaux. Devant l’hôtel de Ville, l’un des lieux les plus fréquentés de la métropole, les passant·es s’affairent à leur quotidien, dans la parfaite ignorance des sept caméras qui les surplombent. Leur œil électronique scrute pourtant les moindres faits et gestes des citoyen·nes. Au centre de contrôle, les forces de l’ordre sont dans l’attente d’un pas de côté. Une technologie orwellienne qui s’est doucement installée jusqu’à passer inaperçue.

À l’approche des Jeux olympiques de 2024, le thème de la surveillance a peu à peu fait son apparition dans les titres de presse : pour la première fois, l’expérimentation de la vidéosurveillance algorithmique est autorisée à l’échelle nationale.« Elle permet de reconnaître les comportements anormaux », précise Elia Verdon, doctorante à l’Université de Bordeaux spécialisée dans la surveillance des populations par l’État. Des caméras, couplées à des logiciels dopés à l’intelligence artificielle (IA), sont programmées pour détecter cinq types de comportements dits suspects. « Pour l’instant, la reconnaissance faciale n’est pas encore autorisée en France… mais la reconnaissance comportementale si et certaines villes l’utilisent à l’échelle locale depuis quelques années. »

Partout, tout le temps, en toute circonstance

Téléphones, cartes d’identité, caméras, réseaux sociaux…

Il y a d’abord les données de connexion, récoltées depuis la loi anti-terrorisme du 23 janvier 2006 « à titre d’expérimentation », puis pérennisée en 2013. Comprenez : dès que l’on se connecte à internet, chaque donnée de connexion associée à vos messages est collectée. Dans le cadre de la « lutte anti-terrorisme et anticriminalité », bien entendu.

« Aujourd’hui, la surveillance s’opère en tout lieu, tout espace dans lesquels la population évolue »

Mais aussi, le recours aux algorithmes, également pérennisé par la loi renseignement de 2015. Par celui-ci, on impose aux opérateurs de communications de mettre en œuvre des traitements automatisés pour détecter des connexions en lien possible avec une menace terroriste. Toujours, donc, dans le cadre de la lutte anti-terroriste.

« Ces dispositifs de surveillance sont mis en place lors de temps très précis durant lesquels on accepte une surveillance plus étendue pour des enjeux de protection, de sécurité collective, ou de sécurité sanitaire », décrypte Elia Verdon. « Mais progressivement, ils s’inscrivent dans le droit commun, et ce qu’on a accepté durant des moments très particuliers comme le pass sanitaire ou la loi renseignement (concomitante aux attentats de 2015) s’intègrent au quotidien. » Le danger : voir un effet d’accoutumance et de banalisation de ces technologies.

Les caméras de vidéosurveillance se sont installées peu à peu dans notre quotidien, jusqu’à aujourd’hui passer inaperçues. (©Alix Villeroy)


Des citoyen·nes suffisamment avertis ?

La surveillance s’opère donc en toute circonstance : mais la population, elle, souffre d’une information toujours insuffisante. « Quand il s’agit d’acteurs privés, par exemple la collecte de données par les Gafam, les citoyens commencent à comprendre je pense. Mais quand ça a un rapport avec l’État, on se dit que c’est pour nous protéger, pour garantir nos droits et libertés. »

Une méconnaissance également portée par un traitement médiatique partiel, voire inexistant sur certains sujets. Lorsque l’on s’éloigne des termes connus comme « reconnaissance faciale » ou « protection des données personnelles », les titres de presse deviennent rares.  

La surveillance est un sujet qui pointe timidement le bout de son nez dans le débat public – malgré son infiltration dans chaque aspect de notre quotidien. Reste à le porter à la connaissance de chaque citoyen·ne, car avons-nous réellement conscience que cette surveillance peut atteindre aux droits et libertés fondamentaux, et donc à la démocratie ?

Alix Villeroy et Louise Fornili

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