Ancienne journaliste pigiste et spécialisée dans l’investigation, Margaux Duquesne, exerce depuis cinq ans le métier de détective privée. Pour elle, il existe des passerelles entres ces deux professions, que le thème de la surveillance permet de souligner.
Pourquoi avez-vous fait le choix de quitter le journalisme pour devenir détective privée ?
Margaux Duquesne : « J’étais dans une impasse professionnelle à Radio France. J’occupais le poste de social média editor et je n’arrivais pas à évoluer comme journaliste. Intégrer un service d’enquête au sein d’un média est compliqué, les places sont chères et je ne me voyais pas devenir pigiste à 35 ans. Il était temps pour moi d’évoluer. J’ai cherché d’autres professions qui faisaient intervenir l’enquête. Policière ça ne me correspondait pas, alors j’ai décidé de me lancer dans le métier de détective privée et ça a fonctionné pour moi. »
Y a-t-il des passerelles entre les deux métiers ?
M.D : « Je n’ai pas eu l’impression de redécouvrir un métier de A à Z. Il y a des similitudes dans les méthodes d’enquête, comme trouver le numéro de téléphone d’une personne sur internet, essayer de la contacter par ses propres moyens… La principale différence, c’est que lorsqu’on est journaliste, on navigue toujours à découvert, on explique notre démarche, on ne ment pas sur notre identité, mis à part les dispositifs de caméra cachées propres au journalisme d’investigation. Aujourd’hui, je ne dis jamais à quelqu’un que je suis détective privée. La loi nous protège car on a le droit d’enquêter et de surveiller sans faire état de notre fonction.
Notre profession est réglementée et contrôlée par le Conseil national des activités privées de sécurité (CNAPS) qui gère tous les métiers de la sécurité privée. De même, les détectives privé⸱es peuvent payer pour obtenir une information, ce qu’un⸱e journaliste ne peut faire de manière déontologique en France. Le⸱la journaliste doit rendre des comptes à son public. À l’inverse, un⸱e détective doit rendre des comptes à son⸱sa client⸱e. Ce n’est donc pas la même manière de surveiller quand on est journaliste et quand on est détective privé⸱e. »
Quelle place accordez-vous à l’enquête à partir de sources ouvertes ou OSINT dans votre travail ? Est-ce un outil de renseignement efficace ?
M.D : « Beaucoup de journalistes et de détectives se servent de l’OSINT pour mener à bien leurs investigations. C’est surtout utile pour trouver des numéros de téléphone, retrouver des gens grâce à leur compte Facebook ou des informations en libre accès laissées sur internet. À mon sens, c’est un outil qui me permet d’avoir accès plus rapidement à davantage d’informations. Par exemple, j’utilise souvent l’OSINT en guise de travail préparatoire pour les filatures. C’est un élément qui m’accompagne tout au long d’une enquête. La recherche sur Internet me permet d’identifier des personnes au préalable, de trouver et vérifier des numéros de téléphone, ce qui ne diverge pas tellement d’un⸱e journaliste. »
C’est une profession réglementée qui va plus loin dans le degré de surveillance tolérée.
Que représente la surveillance dans votre métier ? Est-ce un mot qui a évolué pour vous ?
M.D : « La surveillance, c’est ni plus ni moins que 90% de mon métier. Sans surveillance, je n’ai pas de travail. Pour moi, c’est l’outil d’enquête numéro un du⸱de la détective privé⸱e. Quand on est journaliste, on ne suit pas quelqu’un, ce serait considéré à raison comme du harcèlement. Il y a différents degrés de surveillance. Pour un⸱e journaliste, ce n’est pas déontologique de se présenter sur un lieu privé. C’est pour moi la limite entre ce que peut se permettre moralement un⸱e journaliste et ce qui est communément accepté pour un⸱e détective.
La frontière de ce type de surveillance, c’est par exemple la presse people, qui explore le lien entre intérêt privé et intérêt public. Le⸱la détective privé⸱e, dans le cadre de l’exercice de son métier, est un⸱e professionnel⸱le agréé⸱e par un organisme sous tutelle du ministère de l’Intérieur. C’est une profession réglementée qui va plus loin dans le degré de surveillance tolérée. À l’inverse, le⸱la journaliste est davantage tenu⸱e par la déontologie de sa profession, ce qui en fait deux métiers bien distincts. Pour moi, devenir détective est une reconversion et non un prolongement de mon ancien métier, malgré les passerelles qui existent. »
Quels sont les différents niveaux de surveillance ?
M.D : « La surveillance n’est pas forcément quelque chose de négatif. Par exemple, je peux être amenée à surveiller un⸱e adolescent⸱e que l’on suspecte d’être embrigadé⸱e dans un réseau de trafic de drogue. Dans ce cadre, la surveillance s’apparente à de la bienveillance. Quand je le suis, je n’ai pas l’impression de le⸱la surveiller à proprement dit, mais plutôt de veiller sur lui⸱elle, même si ce n’est pas un mot que j’utilise souvent. À l’inverse, la surveillance est à ne pas confondre avec l’espionnage, qui est illégal, que l’on soit journaliste ou détective privé⸱e. »
Est-ce que vous envisagez de revenir au journalisme ?
M.D : « Ça fait cinq ans que je me suis reconvertie dans ce métier. Actuellement, j’ai le statut d’auto-entrepreneuse, mais j’envisage de monter ma propre agence avec des associé⸱es. Je sors également un livre le 6 novembre 2025 intitulé Dans la peau d’une détective privée aux éditions First dans lequel je raconte 20 enquêtes marquantes, qui m’ont fait un peu renouer avec d’anciennes pratiques journalistiques. J’ai aussi une newsletter sur le thème des disparitions, j’anime un podcast, j’écris… Je n’envisage pas du tout d’y revenir, car j’aime ne plus avoir à vivre du journalisme, mais je ne renie pas ce métier pour autant, et je ne regrette pas du tout mon passé. »
Elise Raimbaux et Mélanie Bourinet