Enquêtes à hauts risques : quand le journalisme dérange

En France, enquêter sur les groupes d’extrême droite expose les journalistes et leurs sources à des risques physiques et psychologiques importants. Entretien avec des reporters qui ont vécu les intimidations de l’intérieur.

Entre risques physiques et cybermenaces

Pour Delphine-Marion Boulle, journaliste à France Bleu et autrice du livre Au nom de la race , les menaces ont débuté très tôt. Alors étudiante en école de journalisme à Bordeaux, une enquête sur Daniel Conversano, militant suprémaciste blanc et néonazi français, lui a attiré sa première vague de haine. « Il a partagé un post avec mon nom, des blagues sexistes et en se moquant de mon nez crochu, sous-entendu que je puisse être juive. Les trois jours suivants, j’ai subi un déferlement de haine sur les réseaux ». 

« Je ne dépose aucune plainte pour les harcèlements reçu sur X, car cela ne mène à rien », explique Maxime Macé. Le binôme d’enquêtes de Pierre Plottu précise que la plupart des menaces ont lieu en ligne : « Ce sont souvent des messages électroniques, je n’ai jamais été confronté à des menaces de morts dans la rue, seulement des coups de pression de la part des militants d’extrême droite lors de manifestations ». 

Toutes les plaintes ne se terminent pas avec de la prison et des amendes comme cela a pu être le cas pour les harceleurs de Nadia Daam, victime de cyberharcèlement et de tentatives de piratages après une chronique sur Europe 1 dénonçant le sabotage d’une ligne téléphonique pour les femmes victimes de harcèlement en 2017. A l’heure actuelle, aucune des plaintes de Maxime Macé n’a abouti. 

Le co-rédacteur en chef adjoint du média StreetPress, Christophe-Cécil Garnier revient sur les menaces subies par la rédaction, notamment après le lancement d’une enquête participative sur l’extrême droite : 

« Je suis cis, homme et non racisé, je ne suis pas exposé aux mêmes menaces »

Maxime Macé a conscience que l’extrême droite s’attaque de manière plus virulente aux minorités. « Je suis un homme, cisgenre (genre ressenti correspondant à celui assigné à la naissance, NDLR) et non racisé, donc je ne suis pas exposé aux mêmes menaces qu’une collègue confrontée aux menaces de violences sexuelles par exemple ». Les femmes ne sont pas logées à la même enseigne, observe Delphine-Marion Boulle. « Être une femme et bosser sur l’extrême droite, c’est encore plus compliqué. Tout de suite, une femme subit des remarques à connotations sexuelles. » 

Le cas des pigistes, souvent plus précaires, est aussi un cas à part. Maxime Macé reconnaît que travailler pour Libération lui octroie une certaine sécurité en plus. « Un pigiste menacé de mort n’aura pas forcément le même soutien des rédactions pour lesquelles il travaille, notamment au niveau des frais d’avocat. »

Christophe-Cécil Garnier évoque les stratégies de l’extrême droite et ses manières d’y faire face : 

Parfois les menaces se concrétisent. En mars 2024, la radio Bip de Besançon a été vandalisée d’une croix celtique accompagnée d’un « Fuck les antifascistes ». Le journaliste indépendant Mourad Guichard a quant à lui fait les frais d’une tentative d’intimidation par l’extrême droite à son domicile pour retirer un article de presse

Maxime Macé n’a « pas peur pour son intégrité physique », même s’il avoue qu’il y a des précautions à prendre lorsqu’on traite le sujet. « Il faut savoir faire la part des choses et ne pas se mettre en danger de façon excessive. Lors des manifestations par exemple, la police est présente, donc on n’est pas en insécurité, mais on reste prudent ». Ce genre de sujet nécessite toutefois une certaine discipline, poursuit-il. « J’ai une seconde adresse mail pour les éléments plus sensibles. Si on enquête sur un groupuscule violent, on se prépare en amont et on se renseigne énormément sur leurs habitudes. » Les journalistes doivent aussi prendre en compte les entraves à la profession de l’extrême droite elle-même. « Le RN menace systématiquement les journalistes qui écrivent sur eux de les poursuivre, nous avons l’exemple avec les procédures-bâillons. Le RN refuse parfois la présence de médias tels que Libération, Mediapart, Quotidien… Et ça, c’est une entrave à la liberté de la presse. Pour moi, c’est la seule mouvance politique à être aussi agressive judiciairement envers les journalistes », regrette Maxime Macé. 

Désormais plus en retrait sur la thématique, Delphine-Marion Boulle continue d’appliquer ses méthodes : « Sur Internet, il n’y a pas de photos de moi, hormis celle pour la sortie du livre. Je ne mettais aucune information privée, encore moins avant de décrocher mon CDI. Je partageais même mes articles plusieurs mois après, pour que l’on ne sache jamais où je me trouvais. » 

Une protection à la source

Se protéger est un enjeu vital, mais protéger ses sources en tant que journaliste l’est tout autant si ce n’est plus. Une importance majeure, qui revient finalement très souvent au premier plan. Pour le bien de leur livre Au nom de la race, Valentin Pacau et Delphine-Marion Boulle ont eu besoin d’une source en immersion totale dans un groupe de suprémacistes blancs. Des camps d’été aux réunions internes, les deux auteur·ices ont dû garder l’œil affuté pour éviter toutes mises en danger, mais aussi une éventuelle trahison de cet homme. « Nous avons testé notre source durant six mois pour être sûrs de ses intentions. Ensuite, on prenait des nouvelles d’elle de manière constante, se souvient la femme de radio. Étant donné qu’il enregistrait à leur insu, on avait mis en place un stratagème de communication hyper précis. Tous les soirs, notre source  nous envoyait un message. Si ce n’était pas le bon ou qu’on ne recevait rien, on appelait les gendarmes. Notre travail serait tombé à l’eau, mais la sécurité de la source est plus importante. » L’enquête finie, l’informateur·ice doit être protégé·e d’éventuelles représailles. Une fois l’infiltration terminée, la personne a été éloignée et mise en sécurité. 

« Il est très important de respecter l’anonymat des sources et de faire en sorte que rien ne puisse permettre de les identifier. Il arrive souvent qu’on nous demande d’être anonymisés (souvent pour les femmes ou les personnes LGBT), ça n’enlève rien à la qualité du témoignage, mais c’est très important de respecter cette demande », argumente Maxime Macé.

Agathe Courret et Noa Roche

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