Emmanuel Dupuy: « Au Maroc, on peut parler d’une véritable faillite de la communication »

Le décryptage d’Emmanuel Dupuy, politologue et président de l’Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE), spécialiste des questions de sécurité et des dynamiques politiques en Méditerranée.

« Les médias — qu’ils soient indépendants ou non, qu’il s’agisse des médias audiovisuels, télévisuels, des réseaux sociaux ou encore de la communication officielle — ont montré une certaine lenteur, une forme de léthargie, à répondre de manière efficace et concrète à la situation. De ce point de vue, on peut parler d’une véritable faillite de la communication.

C’est aussi, évidemment, un phénomène sociologique : des mouvements jeunes, spontanés, ont émergé sans que l’on s’y attende, sans qu’on en mesure immédiatement la force ou la capacité de mobilisation. Leur dynamique a été beaucoup plus rapide que la réponse étatique, qui, comme dans la plupart des pays, reste verticale et trop administrative.
Il n’y a sans doute pas eu suffisamment d’inventivité ni de coordination avec les forces vives — les mouvements étudiants, syndicaux, etc. On sait d’ailleurs que le ministre de l’Éducation nationale n’était pas particulièrement enclin à instaurer un véritable dialogue avec l’ensemble des syndicats, lesquels s’étaient, encore une fois, placés dans une posture de confrontation.

On observe en réalité deux formes de communication. Premièrement, une communication institutionnelle, très lente, inadaptée à l’ère de l’intelligence artificielle (IA), des réseaux sociaux et de la circulation massive des données. Deuxièmement, une communication citoyenne, beaucoup plus réactive, polymorphe, portée par la société civile.

Ce phénomène n’est pas propre au Maroc : on l’a vu récemment au Népal, où cette fracture communicationnelle a conduit à la chute du gouvernement, ou encore à Madagascar, où les partis au pouvoir, souvent accusés — à raison — de gabegie, de kleptocratie ou de corruption, peinent à saisir les réalités d’une société civile désormais connectée et inventive dans ses modes d’expression.

À côté de cela, les réseaux sociaux et les médias traditionnels jouent un rôle d’amplificateur. La génération Z, en particulier, n’est pas un phénomène local : elle existe partout, et ses relais sont mondialisés. Prenez l’exemple de la France : les jeunes y partagent les mêmes codes, les mêmes canaux de communication, et interagissent avec leurs homologues d’autres pays. »

Propos recueillis par Aymeric Peze, Adel Dellal

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